
Les alcools d’érable : le meilleur est à venir
Texte de FRANÇOIS PERREAULT
Ces dernières années, un nombre croissant d’artisans se sont tournés vers la fabrication de boissons alcoolisées à base d’érable. Malgré un avenir prometteur, il reste beaucoup de travail à accomplir, entre autres pour faire découvrir ces délices et les démystifier auprès des consommateurs ainsi que pour les regrouper sous certaines désignations bien définies.
Pas moins de 18 entreprises d’ici possèdent un permis de production artisanale de boissons alcoolisées à base d’érable, un nombre en croissance depuis quelques années. Pour Joël Pelletier, cofondateur de la Distillerie du St. Laurent, cette tendance s’inscrit dans une logique à la fois d’affaires, agroalimentaire et identitaire.
« Partout dans le monde, dit-il, les gens font appel aux ressources se trouvant sur leur territoire. Les Japonais ont utilisé le riz pour le saké, les Écossais ont employé l’orge maltée pour le whisky, alors que les Français ont recouru au raisin pour le cognac. Il était donc normal que le Québec se serve d’un produit du terroir pour en faire la base d’alcools de toutes sortes. »
Nathalie Decaigny, du Domaine Acer, évoque pour sa part le contexte économique du début des années 90 pour expliquer les premières initiatives visant à créer des boissons alcoolisées à base d’érable. « À ce moment, rappelle-t-elle, plusieurs producteurs avaient massivement investi pour moderniser leurs installations. Or, en parallèle, une crise a provoqué une forte baisse des prix du sirop d’érable. Par conséquent, certains ont commencé à créer des boissons dérivées, question d’élargir les possibilités commerciales. »
Éducation et accompagnement
Sa propre entreprise a consacré cinq ans à mettre sur pied un laboratoire, à mener des recherches, à tester des fermentations et à faire valider le tout en France afin d’en arriver à la commercialisation, en 1996. Cela dit, même après trois décennies, la spécialiste juge qu’il reste beaucoup à accomplir, tant auprès des consommateurs que des partenaires de l’industrie. Cela explique d’ailleurs la stratégie du Domaine Acer de distribuer ses alcools d’érable dans 150 épiceries fines plutôt que dans les succursales de la Société des alcools du Québec (SAQ). « Les petites épiceries servent davantage notre cause en favorisant notre visibilité et notre notoriété, puis en présentant à leurs clients les atouts de nos produits. Dans une vaste structure comme celle de la SAQ, cela serait peu envisageable. »
Si l’accompagnement des consommateurs reste nécessaire, c’est qu’ils entretiennent encore certains préjugés. « Je participe à plusieurs salons et expositions pour faire découvrir nos alcools d’érable. Or, les visiteurs croient souvent que nos boissons sont fortement sucrées. Pourtant, lors de la fermentation, ils sont magnifiés par les 250 références aromatiques présentes naturellement dans le sirop d’érable. Il faut donc expliquer que nos alcools sont beaucoup plus que du sucre et de l’érable. »
Joël Pelletier observe le même phénomène. « Quand on consomme une spiritueux d’érable pour la première fois, il ne faut surtout pas y chercher ce qu’on connaît de l’érable. Toutefois, parce qu’ils n’ont pas de référence, les gens sont parfois surpris par le goût. D’où la nécessité de leur préciser, par exemple, qu’on trouve dans nos produits les mêmes notes de saveur que dans le rhum. »
Toujours afin de stimuler les découvertes parmi les consommateurs, les PPAQ ont déployé, du 15 novembre au 13 décembre 2022, le concours Web L’Érable en cadeau. Celui-ci a généré plus de 1 700 participations grâce à seulement quatre publications sur Facebook. On y remettait quatre chèques-cadeaux de 100 $ provenant de quatre entreprises locales. « La réussite future des alcools d’érable passe assurément par la multiplication de telles occasions de découvertes, estime Dan Plamadeala, chargé de projet aux PPAQ. Nous devons habituer les gens à nos produits en leur proposant d’y goûter dans toutes sortes de circonstances. »
[…] nos alcools se démarquent par leurs notes aromatisées, ils nécessitent d’être apprivoisés petit à petit.
« Il ne faut pas chercher le coup de circuit rapide, renchérit Joël Pelletier. Parce que nos alcools se démarquent par leurs notes aromatisées, ils nécessitent d’être apprivoisés petit à petit. » De son côté, Nathalie Decaigny évoque ce qu’elle appelle « la liberté de la page blanche ». « L’industrie des alcools d’érable est très jeune, rappelle-t-elle. Nous travaillons avec de la matière vivante, et notre propre apprentissage évolue sans cesse. Par conséquent, il sera toujours nécessaire d’éduquer le consommateur et de lui transmettre des connaissances, mais surtout de lui procurer des occasions de savourer les produits pour s’en faire une idée. »
Clarifier la terminologie
Dans un tout autre registre, des enjeux juridiques sont aussi présents quant aux normes d’étiquetage. Selon le règlement canadien sur les aliments et drogues, les boissons alcooliques normalisées (vin, whisky, bière, etc.) sont exemptées de l’obligation d’inscrire une liste des ingrédients sur leurs étiquettes. « Les boissons alcoolisées à base d’érable n’entrent cependant pas dans cette catégorie, déplore Dan Plamadeala. Par conséquent, les producteurs sont forcés d’inscrire la liste des ingrédients, ce qui peut influencer la perception des consommateurs face à la présence de sucre. »
D’autre part, la dénomination de boissons alcoolisées à base d’érable représente un autre dossier actuel. Ici, Dan Plamadeala rappelle que plusieurs termes et expressions ont été utilisés au fil des ans pour désigner les alcools d’érable : « vin de sève d’érable, Esprit d’érable, boisson alcoolique de sève d’érable, mousseux de sève d’érable, on a compté jusqu’à une quinzaine de désignations », indique-t-il.
C’est dans un tel contexte que le terme Acerum a été implanté. Il s’agit du premier alcool à base d’érable à porter un nom propre et une définition bien réglementée ayant permis de normaliser ce type d’alcool. En plus de Joël Pelletier, les distillateurs Gérald Lacroix (Distillerie Shefford) et Vallier Robert (Domaine Acer) en sont à l’origine.
Acerum est une marque de certification réservée aux spiritueux dont la fabrication respecte le cahier des charges établi par l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable. Elle garantit que l’origine de la matière première d’érable est québécoise, que sa production est réalisée exclusivement au Québec et qu’aucun édulcorant, aromate ou substance quelconque ne lui est ajouté après la distillation. L’Acerum peut être vieilli en fût ou non.
« C’est aussi pour se réapproprier la production et ne pas perdre le savoir-faire que l’Acerum a été créé en 2017, explique Joël Pelletier. Plus qu’une marque, c’est une appellation contrôlée en devenir. Si les Écossais ont le scotch, les Français, le cognac, les Mexicains, le mezcal, et les Américains, le bourbon, les Québécois ont maintenant l’Acerum. »
Les principales catégories de boissons alcoolisées à base d’érable
Vin d’érable
Boisson alcoolisée dont la teneur en alcool est obtenue exclusivement par la fermentation d’un moût d’érable. Un moût d’érable est la matière première obtenue par la concentration de l’eau d’érable ou par la dilution du sirop d’érable. La teneur en alcool peut atteindre 17 %.
Eau-de-vie d’érable
Provient de la distillation d’un vin d’érable et titre plus de 35 % d’alcool.
Acerum
Eau-de-vie obtenue exclusivement par la distillation de l’alcool issu de la fermentation de la sève d’érable concentrée québécoise. L’appellation Acerum est une marque de certification réservée aux spiritueux dont la fabrication respecte le cahier des charges établi par l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable.
Liqueur à l’érable
Issue d’un mélange d’une boisson alcoolisée existante (vin, hydromel, cidre, whisky, etc.) avec du sirop d’érable. Il en résulte une boisson alcoolisée toujours sucrée, dont le taux d’alcool est celui du produit de base.
Crème d’érable
Obtenue par l’assemblage de sirop d’érable, d’alcool distillé et de crème.
Texte publié dans l’InfoSirop – printemps 2023