
Mortalité des érables suite à des épisodes de défoliation par la livrée des forêts
Martin Pelletier, ing. f. – Centre ACER et Rock Ouimet, ing. f., Ph. D. – MFFP
Depuis quelques années, l’ouest de la province est aux prises avec des épidémies de la livrée des forêts (Malacosoma disstria Hübner). Cet insecte, de l’ordre des lépidoptères (papillon), s’attaque de préférence aux peupliers faux-trembles en période épidémique, mais il pourra aussi s’attaquer aux bouleaux et aux érables à sucre. Ce type d’épidémie cyclique est normal et fait partie de l’environnement de l’érable à sucre depuis plusieurs centaines d’années. La durée moyenne des épidémies est de 2 à 3 ans, mais peut parfois durer jusqu’à 6 ans au même endroit.
Le cycle de vie de la livrée des forêts
Le cycle biologique de cet insecte commence par l’émergence des chenilles (normalement appelées larves) au printemps. Elles proviennent des masses d’œufs en forme d’anneau laissées par les femelles de l’année précédente sur les rameaux des arbres. Ces chenilles vont commencer à dévorer le feuillage dès son déploiement, et ce, jusqu’au mois de juin où elles formeront leurs cocons afin de se transformer en papillons. En période épidémique, les arbres peuvent alors être complètement défoliés. Au mois de juillet, le papillon émerge; il ne cause plus de dommage à ce moment et cherche plutôt à se reproduire. Les masses d’œufs (comprenant environ 150 œufs) seront enfin déposées par les femelles fécondées au mois d’août. Les adultes ne survivront pas à l’hiver, mais le cycle peut reprendre grâce aux œufs qui sont passablement résistants au froid.
Son impact en acériculture
Bien que les pertes associées à un épisode de mortalité typique des infestations de la livrée des forêts soient peu importantes pour la production de bois à grande échelle, il en est tout autrement pour la production acéricole. Les producteurs de sirop d’érable génèrent des revenus importants par érable chaque année et il n’est pas toujours facile de trouver des érables pouvant remplacer ceux qui ont péri sous les attaques de la livrée des forêts. Cette réalité particulière à l’acériculture est d’autant plus importante lorsque l’entreprise exploite un petit nombre d’entailles : la perte de 200 entailles pour un producteur en exploitant normalement 1 200 (200/1 200*100 = 17 %) est beaucoup plus dommageable que pour une entreprise de 9 000 entailles (200/9 000*100 = 2 %). Ainsi, sans vouloir minimiser l’impact de la livrée des forêts sur la production de bois d’œuvre, cet article portera spécifiquement sur la livrée des forêts en érablière destinée à la production de sirop d’érable.
Quatre sites étudiés dans Lanaudière et les Basses-Laurentides
Quatre sites dans les régions de Lanaudière (Saint-Lin-Laurentides) et des Basses-Laurentides (Mirabel) ont été étudiés afin d’approfondir la compréhension du phénomène d’épidémie de la livrée des forêts sur les érables à sucre. Le but de cette expertise était de déterminer la cause de mortalité des érables observés sur des surfaces variant de 1 à 3 hectares (ha) suite à un épisode de défoliation grave par la livrée des forêts. Ces sites ont tous été défoliés modérément ou gravement en 2016. Un de ces sites a été traité à l’insecticide BTK en 2017 et n’a pas connu de mortalité anormale alors que les trois autres ont vu des taux de mortalité de près de 100 % des érables à sucre dans les zones attaquées.
Des données forestières
Les peuplements présentaient une abondance d’espèces indicatrices de drainage imparfait à mauvais. En effet, la présence de la végétation suivante : onoclée sensible (fougère), prêle d’hiver, sureau rouge, orme d’Amérique et frêne blanc et frêne noir témoigne de conditions de drainage qui ne convenaient pas parfaitement à l’érable à sucre. De plus, trois des quatre sites visités n’avaient aucune régénération dans le sous-bois lors de la visite. Les propriétaires croyaient toutefois qu’une telle régénération était présente avant le passage de la livrée.
La croissance des arbres
L’analyse de la croissance des arbres a été réalisée en mesurant l’épaisseur des 20 derniers cernes annuels sur des carottes prélevées (échantillons de bois) à l’aide d’une sonde de Pressler. Dans chacun des trois sites affectés par la mortalité, des carottes ont été prélevées sur des arbres morts dans les îlots de défoliation de même que sur des arbres vivants en périphérie. L’analyse de ces carottes a révélé que les érables morts poussaient déjà moins rapidement en 2017 (2e année de la défoliation). Cela suggère que les arbres plus vigoureux ont mieux résisté à la défoliation. La présence de bourgeons qui n’ont pas ouvert en 2018 sur les rameaux des arbres morts indique que la mort de ceux-ci était bien survenue en 2017.
Les données climatiques
Du côté du climat, l’année 2017 a été une année caractérisée par des extrêmes dans la région de l’étude, dont l’abondance d’eau. Les précipitations ont mené à une surabondance d’eau dans les peuplements. Combinée au drainage déficient et au manque de transpiration par les arbres défoliés, cette surcharge d’eau a certainement incité au déclin des érables à sucre.

L’analyse des causes de la mortalité des érables à sucre
La mortalité des érables à sucre observée lors de cet épisode a bel et bien été initiée par les conditions météorologiques exceptionnelles de l’année 2017. Toutefois, le coup de grâce a été donné par la livrée des forêts. En favorisant les érables à sucre dans des sites à drainage imparfait, cela a réduit la vigueur de ces arbres à long terme. Chez ces producteurs acéricoles, l’impact de cet épisode de mortalité est aggravé par le fait que la régénération (semis, gaules) est éparse sous un couvert dense de sureaux et que les petites tiges marchandes (perches) sont absentes. La remise en production des secteurs affectés prendra donc plusieurs décennies et nécessitera plusieurs interventions sylvicoles.
La prévention est la meilleure protection contre la mortalité des érables
La première chose à faire pour favoriser la santé de l’érablière est de s’assurer de maintenir ou de rétablir celle-ci avant même que la livrée ne frappe; la prévention est la meilleure protection contre la mortalité associée à la livrée des forêts. Le tableau 1 dresse un survol des caractéristiques de l’érablière en santé, en fonction des quatre objectifs de l’approche du Guide de diagnostic de l’état de santé de l’érablière publié par le Centre ACER.
Tableau 1. Caractéristiques de l’érablière en santé
Vigueur des érables dominants |
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État de la régénération |
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Degré de fertilité du sol |
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Caractéristiques de la station et du peuplement |
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Cette approche basée sur la santé mérite d’être entreprise avec l’aide d’un ingénieur forestier qui pourra orchestrer une prise de données systématiques et établir une stratégie d’aménagement à long terme permettant d’augmenter la résistance et la résilience des peuplements.
La lutte à la livrée des forêts par l’épandage aérien
À l’échelle de l’érablière, la lutte à la livrée des forêts passe presque à tout coup par l’épandage aérien de l’insecticide biologique BTK (bacillus thuringiensis varr. kurstaki). Cet insecticide est une bactérie qui cause la formation de cristaux dans le système digestif des chenilles. Ces cristaux perforent les parois du système digestif et entraînent la mort de l’insecte en ouvrant la porte à d’autres maladies. Afin d’obtenir un certain succès dans une telle entreprise, il faut procéder à l’épandage alors que le feuillage est pleinement déployé, mais que la chenille mesure encore moins de 3 cm.
Pour déterminer si un épandage est nécessaire, il faut pondérer certains paramètres :
- Présence d’une population épidémique de la livrée des forêts dans l’érablière ou à proximité de celle-ci.
- État de santé actuel du peuplement.
L’état de santé du peuplement influencera le choix d’épandre ou non : une érablière en mauvaise santé sera toujours plus vulnérable et aura un plus grand risque de mortalité des suites d’une infestation qu’une érablière en santé. Les érablières en bonne santé ont de très bonnes chances de survivre à la livrée sans trop de dommage et de mortalité. Il est donc possible de laisser la nature suivre son cours dans ces cas. - Inventaire de masses d’œufs dans l’érablière.
L’inventaire de masses d’œufs dans l’érablière permet d’évaluer la population de la prochaine saison de végétation. Les prévisions de population épidémique peuvent justifier un épandage d’insecticide biologique au printemps, surtout si l’érablière n’est pas en bonne santé.
L’analyse de risques et la prise de décisions devraient toujours être faites avec les conseils de professionnels compétents. Un ingénieur forestier pourra établir l’état de santé de votre érablière alors que le volet entomologique peut être géré par un ingénieur forestier spécialisé en entomologie ou par un entomologiste. Il est préférable de vérifier auprès de ces spécialistes les conseils reçus du vendeur d’insecticide, le cas échéant.
Bonnes pratiques d’aménagement à considérer
Comme il a été démontré que l’entaillage des peuplements « stressés » peut mener à une réduction de l’accroissement (une augmentation du stress), il apparaît judicieux de diminuer l’intensité d’exploitation dans les zones d’érablières défoliées par la livrée des forêts. Comment? En réduisant la profondeur et/ou le diamètre d’entaillage ou encore le nombre d’entailles par érable. La suspension de l’exploitation pendant l’épidémie dans les cas les plus à risque peut même être nécessaire. Finalement, l’aménagement devrait favoriser l’érable rouge plutôt que l’érable à sucre dans ces sites à drainage déficient, car cette essence tolère beaucoup mieux les sols à mauvais drainage. De plus, l’érable rouge n’est pas la nourriture préférée de la livrée des forêts, ce qui en ferait un atout majeur dans le maintien de la santé de ces érablières.
Texte publié dans le magazine Forêts de chez nous, mai 2019